Caricatures de Mahomet : nouveau rebondissement

[...] ... Jussi Vilkuna, 45 ans, rédacteur en chef du petit magazine culturel finlandais Kaltio, dans le nord-ouest de la Finlande, est la dernière victime de l'affaire des caricatures de Mahomet. Il a été licencié, vendredi 24 février. Kaltio avait publié, le 20 février, sur son site internet, une bande dessinée de cinq pages du dessinateur Ville Ranta, mettant en scène un Mahomet masqué. "Le président du conseil d'administration de Kaltio m'a demandé de les retirer car il pensait qu'elles pouvaient offenser quelqu'un, raconte Jussi Vilkuna : j'ai répondu que c'était impossible. Et le lendemain, j'ai été renvoyé." Des sponsors, parmi lesquels les compagnies d'assurances Tapiola et Pohjola, ainsi que le groupe financier Sampo, avaient retiré, jeudi, leur soutien au journal. Les dessins ont, depuis, disparu du site.

"Ce sont les sponsors qui ont un peu paniqué, estime Ville Ranta, collaborateur de Kaltio depuis quatre ans et auteur de cette série de dessins : dans mon histoire, le prophète Mahomet a une discussion avec le dessinateur - moi - sur la liberté d'expression." Dans la bande dessinée, le dessinateur avoue sa peur de représenter Mahomet et se plaint au prophète de ne pouvoir le représenter sans être menacé. "C'est notre droit tout autant que c'est votre droit de pratiquer votre religion", dit-il, en suppliant Mahomet de ne pas tuer sa famille. Plus loin, le dessinateur rencontre la présidente, le premier ministre et le ministre des affaires étrangères finlandais en train de brûler un drapeau danois et de demander pardon aux musulmans. De fait, ces responsables finlandais, après avoir adopté une ligne critique vis-à-vis du gouvernement danois, se sont excusés après la publication sur le site internet d'un mouvement extrémiste, Suomen Sisu, des caricatures du journal danois Jyllands-Posten.

Ces excuses avaient provoqué un débat en Finlande, certains estimant que les responsables finlandais étaient allés trop loin. "Ce sont ces propos qui m'ont choqué et poussé à faire cette bande dessinée, explique Ville Ranta : je pense que l'on doit clairement défendre la liberté d'expression. Mais il existe une tradition finlandaise d'avoir peur de se mêler des problèmes internationaux. C'est l'héritage de la "finlandisation", marquée par les relations avec l'Union soviétique. Le conseil d'administration du journal en est l'illustration. Ce sont des gens plutôt vieux et pas très courageux qui sont dans cette tradition de silence très profonde. Mais maintenant, nous sommes dans l'Union européenne, et il faut en faire partie aussi sur les sujets difficiles."

Harri Kynnös, président du conseil d'administration de Kaltio, dément avoir subi des pressions des annonceurs : "Ils m'en ont parlé, mais la principale raison qui nous a poussé à renvoyer notre rédacteur en chef est qu'on ne veut pas que ces dessins créent des problèmes à des gens. C'est une mesure de précaution." "Cela montre à quel point on s'autocensure trop en Finlande à cause de cette tradition consensuelle, critique Jussi Vilkuna : mon renvoi est une histoire finlandaise, car rien, dans ces dessins, n'insultait les musulmans."

Olivier Truc - STOCKHOLM CORRESPONDANCE (Sources : Olivier Truc - Le Monde - 28 février 2006) ... [...]